Citizen journalists based in Syria keep the world informed on what is happening on the ground.

Deux ans après le début du conflit en Syrie, le flot d’images ne s’est pas tari. Les plateformes de partage de vidéos, telles que Youtube et Dailymotion, déversent leur lot quotidien d’images de combats, d’immeubles éventrés par les bombardements et de populations en déshérence. Non pas celles des journalistes des médias traditionnels, toujours peu nombreux à avoir accès au terrain, mais celles de journalistes citoyens et d’acteurs du conflit. Un flux incontrôlé d’informations, sans cesse démultiplié par le nombre croissant d’intervenants, difficilement vérifiable pour les médias.

 

Il y a deux ans déjà, alors que l’opposition ne comptait encore que sur la force du nombre et le choc des slogans pour affronter le régime Assad, une poignée de jeunes Syriens avaient bien compris l’importance d’organiser le combat sur le terrain médiatique. Comme de nombreux autres Syriens vivant à l’étranger, Amrou et quelques autres, jonglaient depuis leur appartement parisien entre leurs écrans d’ordinateurs ouverts sur des conversations Skype et les coups de fil aux rédactions des grandes chaînes de télévision pour assurer la transmission de vidéos et de témoignages de première main.

>> Lire le reportage réalisé en mai 2011 : “La contestation syrienne s’organise aussi de Paris”

 

PRIORITÉ AU DIRECT

“Le groupe Smart (Syrian Media Action Revolution Team) a été le premier groupe à faire des directs depuis les 14 gouvernorats syriens. Pendant des mois, ils ont notamment assuré deux heures de direct quotidien sur la chaîne Al-Jazira Moubachar”, relate Chamsy Sarkis, président de l’Association de soutien aux médias libres (ASML), une association franco-syrienne créée fin 2011 qui soutient le travail des journalistes citoyens en Syrie. Par le biais de contacts personnels, ils ont tissé une toile de correspondants qui, armés de téléphones portables et de connexions Internet, témoignaient en direct dans chaque recoin de la Syrie. Une toile qui s’est peu à peu structurée aux côtés d’autres réseaux de l’opposition, tels que Shaam News Network, Ugarit ou Tal News, pour réunir aujourd’hui 1 800 correspondants locaux. Et produire des centaines de rapports journaliers pour les médias.

En coordination avec le réseau Smart, les activistes syriens ont fourni et acheminé du matériel vidéo, Internet et satellitaire aux correspondants sur place. “L’équipe Smart a installé des centaines de relais Internet par satellite, principalement dans les centres de médias mis sur pied dans chaque ville de Syrie”, par le biais des réseaux de militants de l’opposition, explique Chamsy Sarkis. Une centaine de correspondants locaux ont suivi une formation en continu, deux heures par jour pendant plusieurs mois sur Skype par le biais de formateurs professionnels. Pour ces journalistes en herbe, qui multiplient les casquettes dans le domaine de l’activisme civil – évacuation des blessés, aide alimentaire, transport des personnes –, il a fallu tout apprendre.

Le réseau était fin prêt pour témoigner du grignotage progressif de la rébellion et de la répression qui n’a cessé de s’étendre. “Début 2012, ça a été la grande période des directs. L’équipe Smart, en collaboration avec Shaam News Network, a couvert en direct le massacre de Baba Amro, à Homs, pour 570 chaînes de télévision dans le monde, en plein discours de Kofi Annan, le médiateur des Nations unies”, raconte Chamsy Sarkis. Une couverture en direct qui se fait au prix de la perte quotidienne de collaborateurs, le plus souvent sous le feu des bombardements dans les zones libérées par l’opposition, mais aussi du fait d’exécutions dans les zones encore contrôlées par l’armée du régime, comme à Damas.

 

STRUCTURER LES MÉDIAS MILITANTS

Puis, il y a eu l’envie de faire plus, mieux. “Les activistes média pensaient que les directs allaient changer les choses, alors que non. Ils ont montré des images horribles, mais ça n’a pas fait bouger la communauté internationale. On a décidé de passer à autre chose”, soupire Chamsy Sarkis. La gestion du réseau de correspondants est alors laissée aux mains de coordinateurs. L’ASML, animée par cinq Franco-Syriens, va se consacrer à la mise sur pied et au financement de projets pour développer les médias indépendants en Syrie. Depuis Paris et des bureaux à l’étranger, notamment en Turquie. Un projet qui requiert des dizaines de milliers d’euros par mois, qu’ils disent obtenir de l’opposition syrienne.

Jusqu’à peu, les cinq militants, restés fidèles à l’action civile pacifique en dépit de la militarisation du conflit, n’ont jamais voulu développer de projets avec les combattants de l’Armée syrienne libre (ASL). L’afflux de vidéos amateur réalisées par les katibas (“unités”) les a fait changer d’avis. “Toutes les katibas se sont acheté une caméra et ont commencé à filmer. Il y a des dérapages, notamment beaucoup de vidéos de pure propagande où ils mettent un drapeau noir pour attirer les financements salafistes. Ils ne se rendent pas compte des conséquences”, commente Chamsy Sarkis. Leur communication vise à imiter les méthodes bien rodées des katibas djihadistes, disposant de moyens importants de par les réseaux salafistes.

Des réseaux de médias citoyens ont entrepris de reprendre en main la communication des combattants. Le groupe Smart essaie de mettre sur pied une agence de presse militaire, pour coordonner la communication militaire et financer la formation de correspondants au sein des katibas. Avec pour enjeu de contrer la propagande djihadiste. “C’est une lutte permanente. La propagande salafiste a pris le dessus. Les médias font partie de la prise de pouvoir, de l’influence sur le terrain”, indique Chamsy Sarkis.

 

CRÉER LA PRESSE DE DEMAIN

“Aujourd’hui, la nouvelle tendance est à l’émergence de vrais médias sur le terrain, montés par des journalistes citoyens qui sont à plein temps sur leur projet”, poursuit le président de l’ASML. Une quarantaine de journaux, imprimés à la sauvette et des radios pirates, principalement diffusées sur Internet, ont été créées dans différentes villes syriennes. A l’instar de l’hebdomadaire Enab Baladi, diffusé sur Internet et en version papier à Daraya, dans la banlieue de Damas. “Ce sont les premiers médias indépendants syriens pour un public syrien. C’est important car dans les zones libérées, les gens n’ont rien à faire. Ils n’ont ni l’électricité ni la télévision, juste la radio et le temps de lire”, poursuit-il.

Une douzaine d’entre eux sont parrainés par l’ASML, qui leur apporte un soutien logistique, financier et une formation. Un soutien que l’association leur apporte à une seule condition : leur indépendance à l’égard des groupes politiques et militaires. L’objectif, désormais, est d’augmenter leur diffusion en leur donnant des moyens d’impression dans tout le pays et de permettre la diffusion des radios sur la bande FM. “Les radios sont le moyen le plus efficace de toucher les gens sur le terrain, y compris les militaires de l’armée régulière”, explique Chamsy Sarkis. Mais les visées du projet sont bien plus grandes. “Les militants syriens de la société civile sont déjà entrés dans la phase de la préparation de l’après-Assad, pour qu’avant même que le régime chute, il existe une diversité de médias et d’opinions sur le terrain.”

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